« Goopeal News six heures Avec Rachel Twinnings. L’actualité du monde et de la nuit en trois minutes. Dernier entraînement pour Osseman Drive et Five Q Rock avant la finale de la Street Fight League ce soir. Dans son loft de Zappa Beach, Five Q nous livre son pronostic : « Je vais lui arracher la tête et lui chier dans le cou à ce vieux débris. Demain soir vous assisterez à la fin d’une mascarade qui dure depuis trop longtemps ». Whao, voila qui nous promet un grand moment de sport ce soir en direct sur Télé 7 / Images sensationnelles avec cet accident terrible sur le motorway 37 : douze morts et six blessés graves. Dans le rond rouge la tête du chauffeur du poids lourd décapité par la portière de la voiture bleue. Vous pouvez retrouvez l’accident en direct et l’intégralité des actions de secours sur www.crash.co.os à la rubrique l’accident du jour / Sonia Ladouce l’actrice de charme a signé un contrat de 25 millions de Sterlins avec la maison de production Vibra pour 14 films « J’offrirai à mes admirateurs avec l’aide de Vibra mon premier Gang Bang inter racial. Une partie des droits seront versés au WWF pour la sauvegarde de la forêt noire » / Jackpot record au GranSlam de Ouang Schock où une joueuse de Lettonie empoche la somme extraordinaire de 1,5 millions de Sterlins / Trois morts ce matin dans une fusillade dans un bar d’East End. D’après la police il s’agirait d’un règlement de compte entre bandes rivales / Suite et fin de l’affaire Fat avec ce matin aux aurores la découverte par les hommes du commissaire Cassidy du dernier chargement macabre de fœtus / Début aujourd’hui du procès de Liam Baodang, le secrétaire général de la National Ethic Fundation, inculpé de détournement de mineur et pédophilie / International maintenant : Les forces de sécurité sont intervenus dans la prison de Bangu à Rio pour mater une mutinerie. 32 morts et 64 blessés chez les mutins / C’était Goopeal News Six heures »
Je suis descendue au Desk pour voir s’il n’était pas possible de leur fourguer ma bobine en mes fœtus pour le Goopeal de 10h00. Le Desk est au premier étage, pour que les coursiers puissent prendre l’escalier plutôt que d’attendre les ascenseurs pour livrer ou récupérer les microdisk des reportages.
C’est un grand espace sans cloisons où la température ne dépasse jamais quinze degrés pour protéger les ordinateurs qui tournent en permanence. Je ne vous raconte pas le bruit de la clim… à devenir sourd. Il doit y avoir en permanence quatre vingt – cent personnes qui bossent à fond la caisse. Le Desk c’est le cœur de Télé7. C’est là, au premier étage paysagé qu’arrivent toutes les images tournées par des gens comme moi. Elles sont montées, classées et archivées.
Au centre de la grande salle il y a six bureaux surchargés de paperasse et de gobelets de cafés. Ce sont les bureaux de Munt Yat Foe, la rédactrice en chef des news de Télé7 et de ses cinq chefs des informations. Robby Sanglar pour les affaires sportives, Heinrich Zigler pour les jeux, Miutu Muy pour les affaires criminelles et Jonathan Honoré pour l’international… les sujets de politique ne sont pas traités au Desk mais au trentième étage.
Moi je dépends de Miutu Muy … la grande prêtresse des affaires criminelles. Quand j’ai débuté dans ce métier on m’a laissé entendre que sa grand mère aurait été une des cinq dirigeantes de la Porte Close… la plus puissante des triades de l’ouest Chinois. Je ne sais pas si c’est vrai. Personne ne le sait ni ne le saura jamais parce qu’il faudrait soit le lui demander, soit enquêter. Et honnêtement je ne sais ce qui me ferait le plus peur : enquêter sur les triades ou interviewer Muy. Elle doit avoir soixante ans peut être et garde encore au visage et dans le corps des traces de beautés et de souplesse qui font regretter de ne pas l’avoir connu trente ans plus tôt. Elle a une voix rauque presque masculine à force de Players sans filtre et des valises sous les yeux qui pourraient servir à passer en fraude tout le whisky qu’elle écluse avec constance de huit heures du matin jusqu’à une heure du matin, heure à laquelle elle rentre chez elle. Miutu parle fort, tape du plat de la main sur la table quand elle est contente, trousse des commentaires aux reportages avec le génie de l’alcoolique cynique, et ramène régulièrement le soir chez elle des petits stagiaires des deux sexes qui, par envie ou par crainte, n’osent refuser ses invitations. En clair c’est une grande dame et une formidable journaliste.
Je l’aime bien et je crois que c’est réciproque bien que je ne sois plus stagiaire depuis bien longtemps.
Lorsque je suis arrivée elle allumait une nouvelle Players au mégot de la précédente, avait les pieds posés sur son bureau et tenait à la main le découpage timecodé d’un reportage. Elle m’a repéré, à glissé son regard au dessus de ses demies lunes et a jeté le mégot dans le seau à cendres qui lui servait de poubelle.
- Tiens ! Voila ma grande sauterelle préférée. Qu’est ce que tu veux cette fois ? Un conseil, une cigarette ou ta tête à l’antenne ?
- Troisième hypothèse ma belle.
- Alors au revoir. Le Goopeal de dix heures est complet et on ne parle jamais de macchabé à celui de treize heures. Tu le sais aussi bien que moi d’ailleurs.
- Je sais : Il ne faut pas couper l’appétit des masses laborieuses ni les déprimer avant qu’elles ne reprennent le labeur. Je connais les dix commandements de la maison Miutu. Mais là c’est quand même du lourd. Yen Fat va aller pourrir en prison jusqu’à la fin de ses jours et l’affaire est close. Pas de cadavres, pas de sang… rien que la gloire de la police locale.
- Je m’en contrefous ma chérie. Même sans image, je me vois mal balancer à nos chers téléspectateurs du fœtus congelé pendant leur déjeuner.
- Allez Muy soit sympa bordel. Si je ne passe pas aujourd’hui, je ne passerai plus à l’antenne avant ma prochaine affaire. Et je n’ai rien sur le feu.
- Pauvre petite Ashelle qui a peur que son visage se fripe si son image n’est pas régulièrement mise à l’antenne.
- Allez Miutu, un bon geste.
- Si je voulais faire un bon geste comme tu dis, et bien je t’interdirai d’antenne. Depuis que tu montres ta bobine tes reportages sont de plus en plus mauvais. Tu ne cherche plus la vérité mais uniquement un moyen de te montrer…t’es devenu une merde ma grande. Je te prédis d’ailleurs un grand avenir de merdaillonne en chef. Continue sur cette voie et tu finiras aux Goopeal de vingt heures à lire en boucle la prose du trentième.
Pas besoin de vous expliquer que Miutu avait une conception un peu dépassé des infos à la télé… pour elle le spectacle ne devait pas primer les faits. A deux cent milles Sterlins le pop-up publicitaire pendant les Goopeal vous pensez bien qu’on n’allait pas s’amuser à informer le téléspectateur avec des faits sans images chocs. Certains s’en plaignent moi je fais avec. D’ailleurs cela fait bien longtemps qu’il n’y a plus de carte de presse à Ouang Schock… nous ne sommes pas naïfs à ce point.
- Tu trouves que ma série sur le trafic de fœtus n’était pas bonne ?
- Si je regarde les courbes d’audience je la trouve fantastique ma petite chérie. Si je la visionne elle me donne envie de vomir.
- Quelle est notre mission Miutu ? De l’audience ou du sens ?
Elle alluma une nouvelle Players et me gratifia d’un beau sourire.
- Toi je t’aime parce que tu es le plus belle représentante de cynique à sang froid que je n’ai jamais vu. Et dans cette ville, laisse moi te le dire, le cynisme est plus puissant qu’un sept soixante cinq.
De la main elle me désigna la bouteille de whisky à peine entamée dont le goulot émergeait du fatras de papiers qui recouvrait son bureau.
- Sers nous un verre et raconte-moi.
Une heure plus tard j’avais enregistré quinze secondes de commentaires sur l’affaire pour le Goopeal de 13 heures et quittais le bureau. Je suis passée à l’hôpital voir le vieux avant de rentrer me coucher. J’y vais tous les jours. Ce n’est pas que je l’aime, mais c’est la seule famille qui me reste. Ma mère s’est fait la malle le jour de mes deux ans, je n’ai jamais connu mes grands-parents, je n’ai pas de cousins, de cousines… pas de réunions de famille. Les copains me disent que j’ai de la chance, qu’une famille coûte chère et qu’à la bourse des emmerdes c’est une valeur refuge. Peut être bien. N’empêche, je n’ai pas envie de voir le vieux mourir.
C’est toujours un sale moment la visite. Le découvrir comme ça, avec quarante kilos de barbaque en moins, les os des mains presque visibles sous une peau fine et translucide, les cheveux filasses et épars et des petits paquets de bave blanche et sèche à la commissure des lèvres, ce n’est pas Disney. Oh non !
Je ne sais pas exactement ce qu’il a. Je n’ai pas les moyens de payer les honoraires d’un spécialiste… tout ce que je sais c’est qu’il lui faut une greffe de rein dans les trois mois sans cela il y passe. Vu le prix des reins, je passe le voir tous les jours pour ne rien perdre de ses derniers instants.
Il est allongé, il ne parle pas (je crois qu’il n’en a plus la force), il regarde le plafond et serre ma main dans la sienne. Je lui dis trois mots et puis je reste là à écouter la télévision accrochée sur son bras télescopique qui déroule ses programmes. Depuis qu’il est entré dans cette chambre il n’a jamais changé de canal. A croire qu’il ne l’entend même pas. Une fois, au début, quand nous avons appris que c’était grave il m’a simplement dit : « Tu as été une bonne petite » J’avais eu envie de chialer.
Je suis descendue au Desk pour voir s’il n’était pas possible de leur fourguer ma bobine en mes fœtus pour le Goopeal de 10h00. Le Desk est au premier étage, pour que les coursiers puissent prendre l’escalier plutôt que d’attendre les ascenseurs pour livrer ou récupérer les microdisk des reportages.
C’est un grand espace sans cloisons où la température ne dépasse jamais quinze degrés pour protéger les ordinateurs qui tournent en permanence. Je ne vous raconte pas le bruit de la clim… à devenir sourd. Il doit y avoir en permanence quatre vingt – cent personnes qui bossent à fond la caisse. Le Desk c’est le cœur de Télé7. C’est là, au premier étage paysagé qu’arrivent toutes les images tournées par des gens comme moi. Elles sont montées, classées et archivées.
Au centre de la grande salle il y a six bureaux surchargés de paperasse et de gobelets de cafés. Ce sont les bureaux de Munt Yat Foe, la rédactrice en chef des news de Télé7 et de ses cinq chefs des informations. Robby Sanglar pour les affaires sportives, Heinrich Zigler pour les jeux, Miutu Muy pour les affaires criminelles et Jonathan Honoré pour l’international… les sujets de politique ne sont pas traités au Desk mais au trentième étage.
Moi je dépends de Miutu Muy … la grande prêtresse des affaires criminelles. Quand j’ai débuté dans ce métier on m’a laissé entendre que sa grand mère aurait été une des cinq dirigeantes de la Porte Close… la plus puissante des triades de l’ouest Chinois. Je ne sais pas si c’est vrai. Personne ne le sait ni ne le saura jamais parce qu’il faudrait soit le lui demander, soit enquêter. Et honnêtement je ne sais ce qui me ferait le plus peur : enquêter sur les triades ou interviewer Muy. Elle doit avoir soixante ans peut être et garde encore au visage et dans le corps des traces de beautés et de souplesse qui font regretter de ne pas l’avoir connu trente ans plus tôt. Elle a une voix rauque presque masculine à force de Players sans filtre et des valises sous les yeux qui pourraient servir à passer en fraude tout le whisky qu’elle écluse avec constance de huit heures du matin jusqu’à une heure du matin, heure à laquelle elle rentre chez elle. Miutu parle fort, tape du plat de la main sur la table quand elle est contente, trousse des commentaires aux reportages avec le génie de l’alcoolique cynique, et ramène régulièrement le soir chez elle des petits stagiaires des deux sexes qui, par envie ou par crainte, n’osent refuser ses invitations. En clair c’est une grande dame et une formidable journaliste.
Je l’aime bien et je crois que c’est réciproque bien que je ne sois plus stagiaire depuis bien longtemps.
Lorsque je suis arrivée elle allumait une nouvelle Players au mégot de la précédente, avait les pieds posés sur son bureau et tenait à la main le découpage timecodé d’un reportage. Elle m’a repéré, à glissé son regard au dessus de ses demies lunes et a jeté le mégot dans le seau à cendres qui lui servait de poubelle.
- Tiens ! Voila ma grande sauterelle préférée. Qu’est ce que tu veux cette fois ? Un conseil, une cigarette ou ta tête à l’antenne ?
- Troisième hypothèse ma belle.
- Alors au revoir. Le Goopeal de dix heures est complet et on ne parle jamais de macchabé à celui de treize heures. Tu le sais aussi bien que moi d’ailleurs.
- Je sais : Il ne faut pas couper l’appétit des masses laborieuses ni les déprimer avant qu’elles ne reprennent le labeur. Je connais les dix commandements de la maison Miutu. Mais là c’est quand même du lourd. Yen Fat va aller pourrir en prison jusqu’à la fin de ses jours et l’affaire est close. Pas de cadavres, pas de sang… rien que la gloire de la police locale.
- Je m’en contrefous ma chérie. Même sans image, je me vois mal balancer à nos chers téléspectateurs du fœtus congelé pendant leur déjeuner.
- Allez Muy soit sympa bordel. Si je ne passe pas aujourd’hui, je ne passerai plus à l’antenne avant ma prochaine affaire. Et je n’ai rien sur le feu.
- Pauvre petite Ashelle qui a peur que son visage se fripe si son image n’est pas régulièrement mise à l’antenne.
- Allez Miutu, un bon geste.
- Si je voulais faire un bon geste comme tu dis, et bien je t’interdirai d’antenne. Depuis que tu montres ta bobine tes reportages sont de plus en plus mauvais. Tu ne cherche plus la vérité mais uniquement un moyen de te montrer…t’es devenu une merde ma grande. Je te prédis d’ailleurs un grand avenir de merdaillonne en chef. Continue sur cette voie et tu finiras aux Goopeal de vingt heures à lire en boucle la prose du trentième.
Pas besoin de vous expliquer que Miutu avait une conception un peu dépassé des infos à la télé… pour elle le spectacle ne devait pas primer les faits. A deux cent milles Sterlins le pop-up publicitaire pendant les Goopeal vous pensez bien qu’on n’allait pas s’amuser à informer le téléspectateur avec des faits sans images chocs. Certains s’en plaignent moi je fais avec. D’ailleurs cela fait bien longtemps qu’il n’y a plus de carte de presse à Ouang Schock… nous ne sommes pas naïfs à ce point.
- Tu trouves que ma série sur le trafic de fœtus n’était pas bonne ?
- Si je regarde les courbes d’audience je la trouve fantastique ma petite chérie. Si je la visionne elle me donne envie de vomir.
- Quelle est notre mission Miutu ? De l’audience ou du sens ?
Elle alluma une nouvelle Players et me gratifia d’un beau sourire.
- Toi je t’aime parce que tu es le plus belle représentante de cynique à sang froid que je n’ai jamais vu. Et dans cette ville, laisse moi te le dire, le cynisme est plus puissant qu’un sept soixante cinq.
De la main elle me désigna la bouteille de whisky à peine entamée dont le goulot émergeait du fatras de papiers qui recouvrait son bureau.
- Sers nous un verre et raconte-moi.
Une heure plus tard j’avais enregistré quinze secondes de commentaires sur l’affaire pour le Goopeal de 13 heures et quittais le bureau. Je suis passée à l’hôpital voir le vieux avant de rentrer me coucher. J’y vais tous les jours. Ce n’est pas que je l’aime, mais c’est la seule famille qui me reste. Ma mère s’est fait la malle le jour de mes deux ans, je n’ai jamais connu mes grands-parents, je n’ai pas de cousins, de cousines… pas de réunions de famille. Les copains me disent que j’ai de la chance, qu’une famille coûte chère et qu’à la bourse des emmerdes c’est une valeur refuge. Peut être bien. N’empêche, je n’ai pas envie de voir le vieux mourir.
C’est toujours un sale moment la visite. Le découvrir comme ça, avec quarante kilos de barbaque en moins, les os des mains presque visibles sous une peau fine et translucide, les cheveux filasses et épars et des petits paquets de bave blanche et sèche à la commissure des lèvres, ce n’est pas Disney. Oh non !
Je ne sais pas exactement ce qu’il a. Je n’ai pas les moyens de payer les honoraires d’un spécialiste… tout ce que je sais c’est qu’il lui faut une greffe de rein dans les trois mois sans cela il y passe. Vu le prix des reins, je passe le voir tous les jours pour ne rien perdre de ses derniers instants.
Il est allongé, il ne parle pas (je crois qu’il n’en a plus la force), il regarde le plafond et serre ma main dans la sienne. Je lui dis trois mots et puis je reste là à écouter la télévision accrochée sur son bras télescopique qui déroule ses programmes. Depuis qu’il est entré dans cette chambre il n’a jamais changé de canal. A croire qu’il ne l’entend même pas. Une fois, au début, quand nous avons appris que c’était grave il m’a simplement dit : « Tu as été une bonne petite » J’avais eu envie de chialer.