Chapitre 10

Le Slice Kimbo est un bar que je déconseille à quiconque n’est pas introduit dans ce milieu. Rien que la ruelle dans laquelle il fallait s’enfoncer pour y arriver était déjà un coupe gorge. Etroite, sombre, humide et se terminant en cul de sac sur l’entrée du Slice Kimbo.
C’est l’antre de ceux qui trouvent que la Street Fight est un sport de gonzesse complètement dénaturé par le fric et la télé. Pour eux les seuls combats qui vaillent sont ceux qui se tiennent dans les arrières cours des pavillons de banlieue avec deux adversaires, un public et pas d’arbitre.
Au début les combats étaient filmés et diffusés sur le net mais les amateurs ont rapidement mis le holà à cette dérive car les images amenaient des fans, les fans ramenaient de l’argent et l’argent amenait les producteurs. Aujourd’hui il n’y a plus une seule image de ces combats et je défie quiconque d’essayer d’en tourner une seule. A l’époque ou je travaillais aux sports mon mentor m’avait emmené voir un de ces combats… j’avais tout de suite attrapé le virus et depuis j’en avais suivit un paquet. Entre nous je suis d’accord avec ces types : la Street Fight c’est juste bon pour les paris parce que pour le spectacle et l’émotion rien ne vaut les Rumble Kimbo. D’autant plus qu’ils sont strictement interdits par la loi… forcément ! Ouang Schock ne peut pas accepter un spectacle sans images et sans droits.
Imaginez une cour herbeuse camouflée par la maison et une barrière de bois de deux mètres cinquante de haut. Les poubelles dans un coin et les vieux vélos tout pourris qui croupissent un peu plus loin. Les fils pour le linge tendus d’un coté à l’autre sur l’une des barrières et les fenêtres de la cuisine avec sur le rebord les bidons presque vide d’Ajax et d’Antikal qui reposent sur une serpillière couleur vomi. Et puis une cinquantaine de types et de femmes serrés les uns contre les autres qui entourent les deux guerriers qui s’affrontent. Ils sont l’un en face de l’autre, torses nus, les poings vierges et ils frappent. Tous les coups marquent et le sang qui coule n’espère aucune éponge, aucun coton. Il y a la sueur et le bruit sec et mat des phalanges qui s’écrasent sur une pommette, les ahanements de celui qui encaisse et qui souffre, le souffle des poumons qui se vident d’un coup sous la violence d’un coup de genou dans l’estomac. Le regard de celui qui sent la victoire et celui, plus génial encore, du gars qui comprend qu’il va perdre et qui cherche au plus profond de son esprit et de son ventre l’ultime rage qui pourrait le sauver mais qui ne la trouvera jamais car il n’y a que dans les films que le perdant peut s’en sortir d’un dernier coup de rein.
C’est dur, c’est violent, c’est sans pitié ! C’est Ouang Schock et c’est comme ça que j’aime cette ville.