CHAPITRE 1

« Les horreurs c’est comme les naissances… faut toujours que ça arrive en plein milieu de la nuit »
Le commissaire Wayne Cassidy ne me regarda même pas en laissant tomber sa vérité première. De toute façon ce soir là personne ne regardait autre chose que les petits paquets bien emmaillotés sorti un par un du conteneur frigorifique du dock 23 par les hommes de l’OSPD. Vingt sept paquets contenant tous un fœtus congelé.
En dix ans de carrières à Télé7, j’en ai vu des cadavres : des truffés de plombs, des pieds en ciment, des laminés à la batte de baseball, des brulés à l’acide… une sacré collection d’ignoble façon de mourir. Mais là j’avais une boule dans la gorge et je n’étais pas la seule.
Un adulte quand ca tourne macchabé il y a une sorte de logique… la mort doit bien frapper un jour. Mais un enfant ! Un fœtus ! Ca passe difficilement.
Du coin de l’œil je regardais Yen Fat qui se tenait bien droit avec le regard fier et lointain malgré les menottes et la barbe de trois jours au menton. Avec les néons pisseux qui inondaient le bitume humide de jaune et de gris, la bruine en rideau sur le fond noir de la nuit et les odeurs de poissons morts dans des relents de gasoil il ne faisait pas tache. Ce type était une pourriture finie. A la tête de son gang il séquestrait des clandestines, les foutait enceinte et déclenchait l’accouchement à six mois et douze jours exactement… Ca ne semblait pas le gêner ces petits paquets congelés le père Yen Fat. Il semblait même s’en foutre complètement… Faut dire aussi qu’au stade où en était l’enquête il n’avait plus grand-chose d’autre à faire que de se foutre de tout. Il y avait trop de preuves contre lui. En contrepartie de sa collaboration il avait gagné le droit de vivre la fin de son existence dans une cellule sans fenêtre de la prison de Huan Gia… triste perspective… moins triste néanmoins que les douze balles dans la peau qu’il aurait gagné à ne pas balancer ses complices. La seule chose que Fat n’avait pas raconté aux policiers était ce qu’il faisait des fœtus. Pas un mot ! Pas un soupir ! Et pourtant il y en avait eu des interrogatoires… Certains basés sur la psychologie, d’autres en ligne totale avec le manuel du bon policier et certains autres un peu plus physiques. Mais Fat n’avait rien dit : ni sur les fœtus ni sur les filles dont on avait retrouvé les corps disséminés dans la ville.
Le commissaire Cassidy avait été lancé sur l’affaire à la suite d’une dénonciation anonyme. En trois semaines il avait mit la main sur six cadavres de femmes et découvert deux chargement de fœtus. Puis il avait coincé Fat… toujours grâce au mystérieux informateur. Sur notre dock 23 nous assistions au dernier acte du drame…
Toujours sans me regarder Wayne Cassidy me demanda.
« Ca passe à quelle heure ? »
J’ai regardé ma montre : 3h22.
« Avec de la chance au Goopeal de six heures… »
« Quoi !!! Même pas le Hot News ? »
« L’histoire est vieille commissaire… et puis il y a la finale ce soir »
« Ouais, si tu le dis… »
C’était notre deal à tous les deux. Il me faisait monter sur tous ses coups et je lui assurais une bonne couverture télé. Nous n’avions pas à nous plaindre de notre association. Sa bouille à l’antenne le rendait quasiment intouchable et lui permettait de mener ses enquêtes et sa brigade à sa guise, et j’y avais gagné mes galons de présentatrice spécialisée… un très bon deal.
J’avais espéré au tout début de l’affaire Fat que cette histoire me permettrait enfin de devenir présentatrice de prime. Hélas, malgré tous mes efforts, l’audience n’avait jamais décollé. On avait pourtant bien monté la sauce tous les deux. Au début nous avions joué sur la piste d’un tueur en série, puis sur celle d’une bande organisée, puis enfin sur le trafic d’organe. Au début j’avais eu droit aux honneurs du Goopeal avec ma bouille à l’antenne, puis simplement des images, puis les flashs… et puis plus rien. Difficile de capter l’attention du téléspectateur plus de dix jours sur un sujet à Ouang Schock.

    J’ai un beau bureau à Télé7, au quatorzième étage en façade sud du Quinte Plazza, avec deux fenêtres qui donnent l’une sur le parking l’autre sur Winston Smith, le boulevard des casinos. Le quatorzième ce n’est pas encore l’étage des vrais patrons mais la façade sud c’est un signe qui ne trompe pas : si je ne suis pas encore une présentatrice vedette, je ne suis plus de cette valetaille que l’on envoie couvrir les incendies et les meurtres passionnels.
Malgré ça j’ai quand même été surprise de l’invitation qui m’attendait sur mon bureau. Une belle enveloppe crème, du papier vélin épais, une typo élégante et grise. Et à mon nom s’il vous plait, pas comme la majorité des autres que mon patron me refile à l’occasion quand son agenda est surchargé.
Faut dire aussi que tout le monde n’est pas invité par Jonah Quinte en personne… pour ça il faut être dans les trentième étages au moins, ou être vraiment très riche… ou pouvoir lui être utile.
Jonah Quinte c’est le secrétaire général du Grand Conseil des Annonceurs. C’est lui qui est à l’origine de la loi éponyme sur la télévision obligatoire dans les lieux publics… Un monsieur à qui très peu de gens à Ouang Schock peuvent dire non.
Il possède Télé7 et quelques dix autres réseaux en plus de participations dans trois casinos, deux entreprises américaines d’armement, une compagnie aérienne et une myriade d’autres trucs qui lui rapportent une fortune tous les ans. Mais sa grande réussite c’est www.crash.co.os, le site des plus beaux accidents de la route du monde entier. C’est son idée de génie, celle qui a fait sa fortune.
Il y a de cela trente ans il a proposé aux forces de police automobile de Ouang Schock d’équiper tous les grands axes routiers de caméras de surveillance. Il fournissait l’équipement, la maintenance et les images. En contrepartie il conservait la propriété intellectuelle et artistique des images et le droit de les commercialiser. Au début personne n’a compris comment il allait gagner de l’argent avec ça… mais les policiers ont accepté. Après tout s’il voulait perdre son fric c’était son problème.
Le lendemain matin les huit assureurs de Ouang Schock annonçaient de concert que les dossiers d’indemnisations de sinistres automobiles devaient dorénavant contenir un extrait vidéo de l’accident. Le site www.crash.co.os, où les accidentés pouvaient acheter leur accident, fut lancé le même jour. Six mois plus tard Quinte installait des caméras à Los Angeles, Pékin, New Dehli, Marseille, Helsinki, Londres… aujourd’hui huit cent quatre vingt sept villes sont équipées de ses caméras.
Sur crash on peut toujours obtenir les images de son accident mais on peut surtout regarder les plus beaux carambolages de la planète. Avant-hier le site avait reçu un million six cent deux milles visiteurs.
Vous comprendrez donc pourquoi j’étais étonnée et fébrile… assez fiere aussi, je dois bien l’avouer. Et puis assister à la finale du championnat de Street Fight League au Zamiatine, l’immeuble de Quinte c’est quand même autre chose que de la mater dans un Lockers ou au bar du coin avec les copains.


CHAPITRE 22

« Jungle Rumble 24 hours a day ». Sur la façade rouge du bâtiment, accroché juste sous les tuiles du toit aux extrémités recourbées comme tous les immeubles du début du siècle dernier, l’immense néon clignotait de rouge, de jaune et de vert. Un lion gigantesque et rugissant frappait de manière syncopée la gueule affreuse d’un crocodile géant, tandis qu’un buffle gémissait sous les anneaux étouffants d’un boa constrictor.

Bien sur il y avait des combats de ce genre au Jungle mais pas en semaine et pas en début de soirée pour sur. La bonne heure pour les vrais combats spectaculaires c’était plutôt 23 heures.
J’ai payé l’entrée et en ai profité pour me balader un peu dans le « Palais »… l’autre nom du Jungle. C’était un endroit vraiment étrange… l’architecture déjà… un vieil immeuble des années 1880, avec des poutres en bois comme structure et des pièces immenses à peine éclairées par de grandes fenêtres à petits carreaux de couleurs. Des parquets craquants sous les pieds et des escaliers majestueux pour rejoindre les étages supérieurs. Des canapés de bois couverts de coussins de soie et un bar en acajou de vingt mètres de long sous un lustre de bronze et de cristal mêlés représentant une pieuvre des hauts fonds.

La grande arène au rez-de-chaussée avait été creusée dans l’ancienne salle de bal dont on avait conservé le plafond peint par Hokusai. Les rangées de sièges de velours rouges placé en cercle et les dorures excessives des pilastres et des colonnes donnaient au Jungle un air d’autrefois.
Aux étages, dans de petits salons, on pouvait assister à des combats qui attiraient les vrais connaisseurs et dans quelques boudoirs on pouvait soi même conduire à la mort une grande variété d’animaux. C’est là que j’ai retrouvé Paritoshan.
Il se tenait assis devant un aquarium à la surface duquel nageait désespérément une souris blanche. Au fond, dans la sarabande des algues visqueuses, trois gros poissons ovales et gris suivaient de concert la course du rongeur.
Paritoshan m’invita à admirer le spectacle en m’invitant du doigt à ne pas troubler le silence.
L’un des poissons fonça à la surface et vint rapidement mordre la patte de la pauvre souris avant de replonger dans les profondeurs de son royaume. Un second s’élança à son tour et attrapa la cuisse de la bestiole puis gesticula pour arracher une part de chaire.
- Des dents comme de véritables rasoirs ma chère.
Le troisième chargea à son tour et attira le rongeur quelques instant sous l’eau. Une caverne rouge était creusée dans la fourrure blanche de l’animal. Son sang s’effilochait dans l’eau grasse de l’aquarium mais elle ne perdait pas l’espoir d’un échappatoire. Nageant de toutes ses forces elle cherchait un récif ou une rive… les trois poissons attaquèrent ensemble dans une frénésie de mouvements et la petite créature blanche fut littéralement déchiquetée sous nos yeux.

Photo François.Kenesi

CHAPITRE 19

Il n’y a rien de mieux que jouir pour se reposer. C’est Miutu Muy qui m’avait apprit ça à mes débuts. Si elle ne m’avait jamais proposé la botte, elle m’avait fait découvrir les plaisirs des latex-boy. 



Au début j’avais été choquée qu’elle puisse les utiliser et pire encore qu’elle ose me proposer d’essayer. Puis avec le temps et quelques verres je m’étais laissé aller et j’avais accepté d’utiliser un homme pour jouir sans arrière pensée.

« Pourquoi faudrait-il aimer pour jouir Ashelle ? Où est il inscrit dans ton patrimoine génétique qu’il faille que ton cœur palpite pour que ton cul se réjouisse ? Réveille toi ma belle, les femmes ont le droit de jouir ! »
Je connaissais un Texclub du coté de Beeka et j’y suis allé pour mettre mes idées au clair.
Je ne dirai pas que j’étais une habitué de l’endroit mais j’y avais trainé mes guêtres suffisamment pour ne pas perdre de temps à choisir un modèle… au début, comme tout le monde j’imagine, j’avais joué avec les couleurs de latex et les différentes « Naked Part ». Aujourd’hui je prends du noir et le corps entièrement recouvert pour ne rien voir du boy. Je me fous de son humanité et ne l’utilise que pour son sexe… et c’est bien comme ça.
J’ai prit une demie heure, je n’avais pas besoin de plus pour me remettre en forme avant d’attaquer la clinique, un « conapt » standard et une formule simple.
Le conapt était confortable, avec des murs bleus pâles et un matelas blanc et une sur-couette moelleuse et fraiche. Je me suis allongée et ai retiré mon pantalon et ma culotte. Mon latexboy est entré à ce moment là. De taille moyenne avec un corps bien dessiné sous sa combinaison noire et son sexe déjà dressé avec le gland noir et brillant comme un globe d’ébène. J’aime ce moment, cet espace de temps pendant lequel je regarde ce corps et ses muscles luisants, cette tige pointée, et l’absence d’humanité que le plastique confère à mon esclave sexuel. Il s’avançait vers moi et de la main je lui intimais l’ordre de marcher à quatre pattes, lui ordonnait de devenir taureau et d’être ma bête et mon maître, le forçait à courber l’échine et dresser sa verge, le dirigeait sous mon désir et lui demandait de me pénétrer, de s’enfouir en moi et d’abandonner son sexe à mon ventre, à fuir le plus loin possible pour que je ne garde que ce pieu vibrant en moi.
J’aime sentir cette chaire gainée se frayer un chemin dans mon ventre, sentir le frémissement des fesses de l’homme qui pousse et se contracte, qui souffle et se tend. Ce moment ou mon vagin s’emplit de lui et l’emprisonne.
Ca commence toujours par le ventre… une chaleur molle et irradiante qui tourne en spirale et gonfle, gonfle, gonfle comme un soleil fabuleux. Un plaisir sans mot et sans nom qui gagne mes cuisses et mes fesses, qui caracole dans ma poitrine et s’enfle sous le lent va et vient du latexboy entre mes jambes. Ca grimpe en corolle dans ma gorge, gagne mes yeux et emplit mon cerveau de vide lumineux. Je ne cherche plus rien alors, je laisse mon esprit s’envoler et mon corps tout entier s’abandonner à ce mouvement de joie.
C’est un peu comme une cascade qui s’enrichit à chaque rebond, une boule qui grossit en moi et me dépasse. Et puis une explosion qui rayonne jusque dans mes dents, mes ongles et mes cheveux. Une onde qui m’éblouit et me coupe de la vie pendant quelques secondes… puis je repousse cet anonyme silencieux qui me gène et l’expulse du conapt.
Je suis allongée, les jambes ouvertes et le souffle court.

Photo François.Kenesi

CHAPITRE 14

En 1987, lors de la fermeture officielle du dernier puits en activité, se posa la question de savoir ce que Ouang Schok allait bien pouvoir faire du site de la mine de sel de Huan Gia.


Creusé depuis le flanc du mont Zun Ziou jusqu’à des profondeurs pouvant atteindre moins 876 mètres, la mine avait été en activité pendant trois siècles et demi et avait grandement participé à la richesse de la province.
Certains, prenant exemple sur ce qu’avait réalisé Wieliczka en matière de tourisme, proposèrent de transformer la mine en un immense complexe de loisirs. Il fut même question un temps d’y ouvrir le seul casino sous terrain au monde.
Devant les coûts de telles opérations, le parlement décida de faire de la mine la prison d’état de Ouang Schock. La légende veut que le projet fut adopté à la suite d’une remarque d’un conseillé : « Au moins là bas, on pourra revendre le sel si un prisonnier creuse un tunnel pour s’évader ».
De l’extérieur on ne voit rien de remarquable, seulement des baraquements de deux étages qui servent à l’administration pénitentiaire. Et puis, collée à la paroi de la montagne une immense et gigantesque porte d’acier noire qui s’ouvre (rarement) sur la cour d’honneur de la prison. C’est là où sont accueillis les prisonniers avant d’être descendu par un ascenseur jusqu’à la plate forme du niveau moins 1 où se trouvent les parloirs et le carré des gardiens. De là, sept ascenseurs desservent les puits où se trouvent les huit milles cellules creusées directement dans le sel.
L’absence de lumière naturelle et l’action naturellement corrosive du sel sur la peau transforment vite un prisonnier en fantôme. En trois quatre ans la peau devient si transparente que l’on peut apercevoir sans problème le réseau sanguin de tous les prisonniers. Tous ceux qui sortent de Gia après avoir purgé leur peine portent sur eux cette trace infamante pendant plusieurs années et doivent suivre un traitement médical spécial pour ne pas développer de cancer de la peau à cause du soleil.
A ce jour il n’y a eu aucune évasion réussie à Huan Gia. Comment s’enfuir quand il n’y pas de murs à franchir ? Il y a bien eu une révolte en 2027 mais les autorités ont trouvées un moyen imparable pour la mater. Ils ont fermé les puits, coupé l’eau, l’électricité et l’aération et ils ont attendu. Au bout d’une semaine la brigade d’assaut a pénétré la prison. Elle n’a pas eu à tirer un seul coup de feu mais a remonté 496 cadavres : morts de faim, de soif ou tout simplement massacrés durant les combats.
Chaque cellule fait neuf mètres carrés… au départ il ne devait y avoir que huit milles prisonniers dans la prison. Aujourd’hui la population carcérale de Gia est de 22 milles.

CHAPITRE 12

Chelem m’a appelé vers vingt trois heures trente. Je commençais juste à m’endormir et je l’ai silencieusement maudit. Il m’a donné rendez-vous sur Strand View à une heure. Cela me laissait le temps de vérifier une dernière fois que ma veste d’ombre fonctionnait bien.

J’ai mis des rangers et un pantalon large et je me suis attaché les cheveux dans une petite queue de cheval. Pour sur en me regardant dans la glace je n’étais pas très féminine. Mais je mets au défi quiconque de mon sexe de se balader autrement sur Strand en pleine nuit… ou alors seulement pour y exercer le plus vieux métier du monde avec en sécurité un bon vieux proxo des familles dans le coin pour éloigner les problèmes.
Le Strand c’est le cœur de la nuit de Ouang… le vrai je veux dire, pas celui des touristes. Parce que le leur il bat sur Smith. Oh il est peut être plus lumineux et plus clinquant mais il ne vaut pas Strand. Là on respire la vérité de cette ville, son électricité et son rythme. C’est violent comme un riff de guitare. Saturé comme un larsen de Marshall. Brutal comme l’autoroute vers l’enfer. Violent diront ceux qui n’aiment pas cette ville… moi j’aime cet endroit parce que la seule chose que l’on y risque vraiment c’est de se retrouver face à face avec sa vraie nature. C’est sur Strand que l’on sait si l’on est de la race des seigneurs ou de celle des loosers.
Le jour des mes dix sept ans mon petit ami de l’époque m’y avait emmené pour la première fois de mon existence. Je connaissais l’endroit par ce qu’en disaient la télé et le net, par les remarques de mon père et l’interdiction qu’il m’avait faite d’y aller.
J’étais heureuse. Inquiète, excitée et heureuse. Juste devant le Majestic, le multiplex cinéma, trois types nous étaient tombé dessus pour nous dépouiller de nos blousons et de notre fric. Mon copain n’avait pas bougé une oreille. Tétanisé par la trouille. Moi j’ai écrasé ma cigarette dans l’œil gauche du type qui s’était penché vers moi avec un petit sourire pour baisser la fermeture éclair de mon flight jacket.
J’ai toujours sut qui j’étais.

Photo François.Kenesi

CHAPITRE 5


Le carrefour San-Tse-Smith c’est le cœur de Ouang Schock. Le Smith tout d’abord, douze kilomètres rectilignes d’Est en Ouest, bordé de casinos avec leurs vagues de lumières qui dégueulent sur le trottoir, leurs parterres animés d’un ballet de limousines, d’un spectacle caraïbes ou de la prise d’un château fort. Des buildings de cent, cent-cinquante étages, en verre et acier enchâssés, brillants sous le soleil en reflets bondissants d’une fenêtre bleue à un vitrail Tsing Tao, les nuages effilochés dans les pistes d’atterrissage des hélicoptères sur les toits. Deux rangées de Ginko tout le long du Smith avec au centre, le tramway 1 qui court tout le long de la ville de Baijang Bay à Circle 1. Des cents et des milles de piétons qui remontent le Smith et écrasent leurs petits nez ronds sur les vitrines triples X et le bazar des prêteurs sur gage. Les roulottes à hot-dog, les marchands de chiens. Les cavernes SEGA d’où jaillissent les cacophonies virtuelles d’un monde de guerre et de sport extrême, les bars à Tapas, les sushis bars, les cocktails lounge, les lanternes rouge, les bordels à vraies filles, les bordels à latexgirl et latexboy, les discounts spirit, les multiplex cinémas et les salles de concert. Des Indu en file indienne aux stations et une myriade d’autres en maraude en quête du client à driver d’un coin à un autre de la ville et parfois les limousines atmosphériques des vrais maîtres de Ouang.
Et en son plein centre, comme une saignée d’ombre, le San-Tse qui le coupe perpendiculairement. Majestueux et méprisant dans ses livrées victorienne. Une avenue d’un autre temps, celle du maître suprême : le général Yun San-Tse. Des immeubles en pierre et briques, avec des perrons sous tonnelles, des langues d’herbe verte devant les façades. Des magasins plus ternes, plus discrets mais dont les prix explosent au portefeuille quand on ose y faire un achat. C’est l’avenue des administrations et des seigneurs de Ouang. N’y vit que celui qui possède la patte blanche magique : l’℮-M℮ Black Magic avec crédit illimité.
Les touristes ne la remontent quasiment jamais cette avenue sombre, car ils ne cherchent que la lumière sans jamais s’intéresser à ceux qui la produisent. Mais peu importe.
Le carrefour explose sous les hordes de visiteurs… car il y a six autres avenues qui débouchent à ce carrefour dont le Strand View en direct de la gare. Une gare de tram, trois lignes de métro et six arrêts de bus. C’est le déversoir à humain cette place. Et sur les façades des immeubles qui la bordent s’étalent des dizaines d’écrans géants qui crachent de la pub 24/24.

Photo François.Kenesi